Pourquoi la vérification de l’âge des internautes est si difficile


La justice française pourrait prendre, mardi 24 mai, une décision retentissante si elle tranchait, comme le demande l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), en faveur du blocage par les fournisseurs d’accès à Internet français de cinq sites pornographiques. Si le gendarme des médias se rend devant le tribunal judiciaire de Paris, c’est parce que Pornhub, Xhamster, Xvideos, Tukif et Xnxx, comme l’écrasante majorité des sites pornographiques accessibles en France, reposent sur le même système de vérification de l’âge de ses visiteurs : une fenêtre demandant à l’internaute de confirmer d’un simple clic qu’il est majeur et en âge de consulter des contenus pour adultes.

Ce système de déclaration sur l’honneur n’est, en théorie, plus autorisé en France : une loi contre les violences sexuelles votée en juillet 2020 l’a déclaré caduc dans un amendement, entré en vigueur à la faveur d’un décret publié en fin d’année 2021. Désormais, un simple clic ne suffit plus : les éditeurs de ces sites sont tenus d’utiliser d’autres systèmes pour s’assurer de la majorité de leurs visiteurs.

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Mais les législateurs n’ont pas précisé les moyens à utiliser pour se mettre en conformité. Le Sénat lui-même le rappelait au moment de l’examen du projet de loi : « Le choix d’une solution technique conforme au règlement général sur la protection des données [RGPD] et ne posant pas de risques en ce qui concerne le respect de la vie privée n’est pas aisé. »

Comment vérifier l’identité et l’âge d’un internaute ?

Des solutions techniques existent, mais aucune ne semble pleinement satisfaisante. Plusieurs acteurs tiers pourraient être en mesure de vérifier l’âge d’un visiteur. Dans un rapport rendu en 2019, l’Inspection générale des finances (IGF) a ainsi étudié plusieurs pistes sur lesquelles pourraient s’appuyer les entreprises gérant des sites pornographiques.

Les entités les plus couramment utilisées à ces fins sont les banques. Pour les sites proposant du contenu payant, comme OnlyFans ou le service de streaming de Dorcel, vérifier l’âge d’un utilisateur accédant aux photos et vidéos est aisé, puisqu’il est nécessaire au moment de l’inscription de fournir des coordonnées bancaires. Dans le cas des sites gratuits, une des solutions les plus régulièrement mentionnées est d’ailleurs celle des micropaiements, à savoir l’obligation pour le visiteur de vérifier son identité à l’aide de sa carte bancaire.

Ce système peine à convaincre les éditeurs de sites pornographiques gratuits, dont une partie des bénéfices repose sur la publicité et donc un trafic important : en raison de la nature du contenu, beaucoup d’internautes pourraient être rebutés à l’idée de donner leurs informations bancaires à ces entreprises. D’autant que cette industrie a une relation parfois délicate avec le monde bancaire : le risque de fraudes y est plus élevé, tandis que Mastercard et Visa ont déjà par le passé pris leurs distances avec Pornhub, accusé de ne pas empêcher la diffusion de vidéos pédopornographiques et de viols.

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D’autres pistes ont été abordées, comme l’utilisation de FranceConnect, un service d’authentification qui permet notamment de se connecter à différents services publics (impôts, santé). « Les avantages de FranceConnect sont notamment qu’il ne stocke aucune donnée personnelle. Le fournisseur d’identité partenaire ne sait pas pour quel service il est sollicité », soulignait le rapport de l’IGF. Autre système envisagé en 2019 : l’achat d’un passe auprès d’un revendeur physique, chargé lui-même de la vérification de l’âge du client, comme le font, par exemple, les buralistes.

Les questions qui se posent

La loi place donc les éditeurs de sites pornographiques dans la position de devoir choisir quels moyens sont nécessaires pour assurer une vérification sérieuse et crédible, même si l’Arcom a la possibilité – comme l’a souligné le site NextInpact – de donner des lignes directrices. Ce sera donc vraisemblablement aux tribunaux de décider à l’avenir si telle ou telle mesure de contrôle mise en place par un site est suffisante ou non.

Par ailleurs, si certains des plus grands groupes du secteur ont travaillé sur des solutions techniques ces dernières années, celles-ci sont très critiquées par les éditeurs et producteurs indépendants, qui craignent que le contrôle par les plus gros sites pornographiques des outils de vérification de l’âge ne leur donne encore davantage de pouvoir et de données sur leurs internautes. C’est ainsi le cas d’AgeID, l’un des principaux projets d’application de contrôle de l’âge, propriété du très puissant groupe Mindgeek.

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Enfin, un tel système doit comprendre de nombreux garde-fous pour protéger convenablement la vie privée des utilisateurs : les données personnelles traitées par les sites pornographiques sont, par nature, d’une grande sensibilité. Un risque que la Commission nationale de l’informatique et des libertés avait rappelé en mars 2021.

L’échec britannique

Au Royaume-Uni, où un projet de loi largement similaire à celui adopté en France a été discuté durant plusieurs années avant d’être finalement abandonné, la question de la vérification de l’âge avait concentré une grande partie des critiques et des débats. Les députés britanniques avaient notamment envisagé d’utiliser la vente de passes délivrés dans les bureaux de tabac. Ces derniers auraient vendu des cartes contenant un mot de passe permettant de confirmer, à la connexion sur un site pornographique, que le détenteur était bien adulte. Original, le projet présentait, cependant, plusieurs faiblesses, notamment concernant la sécurisation de ces cartes.

La difficulté de proposer une manière simple et sécurisée de vérifier l’âge des internautes tout comme la relative facilité à contourner un filtrage de ce type par le biais d’un logiciel de VPN avaient été deux des principaux points ayant conduit à l’abandon du projet de loi britannique, malgré une quasi-unanimité des élus.

En France, le combat engagé par les législateurs et l’Arcom risque de rencontrer les mêmes problèmes. Au-delà de la facilité de contourner les blocages possiblement ordonnés par la justice, moins d’une dizaine de sites pornographiques sont aujourd’hui concernés par une action de l’Arcom, alors même qu’en 2019 le rapport de l’IGF soulignait qu’il existait en France plus de 250 sites de cette nature avec une audience supérieure à 200 000 visiteurs uniques mensuels.

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